L’être humain est un nomade et doit le rester

« A World For Travel » : le Forum qui veut transformer le voyage


Nous avons interviewé Christian Delom, Secrétaire général du Forum « A World For Travel » qui se déroulera cette année à Évora, au Portugal. L’ambition de ce forum est d’initier une réflexion globale pour transformer le voyage en préservant, à l’échelle mondiale et locale, l’Humanité et la Planète. Sa devise : « Human being is a nomad and must remain for their own good » (L’être humain est un nomade et doit le rester pour son propre bien).

Christian Delom a accepté de répondre à nos questions. Il nous apporte son expertise et nous livre son sentiment concernant le tourisme de demain.

Une vision à 360° du tourisme

Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a mené à devenir secrétaire général du forum dédié au tourisme de demain « A World For Travel » ?

Christian Delom : Dans ma carrière j’ai réalisé plusieurs parcours à des postes de responsabilités dans des entreprises privées (Air Inter, Air France, Amadeus), dans des organismes publics (Atout France, Offices de Tourisme) mais aussi comme élu local depuis 26 ans sans discontinuité dans un territoire urbain puis dans un territoire rural. Ce que je retiendrais est principalement que l‘innovation est le principal moteur des succès et de la vraie création de valeur. Que l’innovation est d’abord une aventure humaine, généreuse et collective plus encore que technologique ou financière. Grâce à ce parcours j’ai acquis une vision 360° du secteur du tourisme qui ne peut être abordé qu’en regard et, en synthèse, constitue une chaîne d’acteurs publics et privés qui partagent la responsabilité de son développement, de sa solidité et de sa pérennité. Un maillon manque et c’est toute la chaîne qui est affaiblie. C’est donc tout naturellement que j’ai accepté de devenir Secrétaire Général de « A World For Travel » que je considère comme l’aboutissement de ce parcours et une exigence face aux enjeux systémiques du secteur.

L’Université pour créer le tourisme de demain

Le Forum se déroulera prochainement, non pas dans un centre des congrès mais à l’Université d’Évora, au Portugal. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

C’est fondamental, l’Université est un temple du savoir mais aussi celui du temps long. Il y en a peu de nos jours… C’est aussi celui qui permet… Encore… La dialectique apaisée indispensable pour trouver des solutions durables et évolutives.

L’Université d’Évora fait partie de ces universités hispaniques telles que Coimbra ou Salamanque, d’origine jésuite qui ont permis aux savoirs de trouver leur voie et de dépasser leurs siècles et leurs certitudes. Avoir déjà choisi Évora, une ville en dehors des grands flux touristiques, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, présentant un équilibre architectural dans ses murailles millénaires dans une histoire aux racines romaines, était déjà tout un symbole qui tranche avec les autres événements du secteur souvent dans des grandes salles d’hôtels internationaux de stations ou de métropoles. Nous voulions créer une atmosphère un peu hors du temps et de l’espace. À l’écart mais aussi dans une destination touristique de qualité.

Quelles sont les menaces liées au développement du tourisme ?

Avant la crise pandémique j’avais fait le constat que le tourisme et les voyages faisaient face à une mutation jamais constatée depuis l’émergence du tourisme de masse que nous pouvons dater en Europe dans la seconde moitié du XXème siècle. Les fondamentaux étant les évolutions climatiques, les exigences environnementales, l’accès aux ressources en particulier l’eau, le surtourisme et son acceptation, les mutations sociales et sociétales, la sécurité, la technologie, tous questionnant en profondeur le modèle productiviste. Certes, la pandémie ajoute des enjeux sanitaires mais au fond, elle ne fait que révéler et accélérer cette profonde transformation. Je rajouterai le risque du modèle économique qui en réalité n’est uniquement tourné que sur la réduction des coûts et donc des prix au détriment des marges et de la valeur ajoutée. Ce modèle brûle les capacités d’investissement et donc d’adaptation imposant un modèle « Kleenex » insoutenable dans le temps. La densification des facteurs de production, tant dans le transport que dans l’hébergement ou le divertissement, se fait au détriment de la qualité et de l’expérience. La seule jouissance étant apportée par une exacerbation du Moi allant jusqu’à l’indécence de la mise en scène du selfie.

Photo de Eberhard Grossgasteiger sur Pexels.com

Le Forum, lieu d’échanges et de débats

Comment pensez-vous pouvoir favoriser le tourisme durable ? Quelles sont vos attentes en termes d’engagements ?

Moins souvent, moins loin, plus longtemps, plus diversifié, moins concentré, avec plus de partage, plus de sens, plus d’engagement. Telles peuvent être les pistes de travail de ce forum que nous plaçons sous le signe de solutions locales.

Rien ne serait pire que le repli sur soi, le voyage est une découverte pas seulement un loisir.

Voyager c’est adopter des codes sociaux et des modes de vie différents. Pour attirer des touristes internationaux, on a rivalisé de tous les stratagèmes afin de leur garantir le mode de vie de leur quotidien. Nous avons marché sur la tête. C’est exactement le contraire qu’il y a lieu de faire. Pour autant, le tourisme et les voyages sont des composantes de l’humanité, facteur de compréhension, de partage, d’entente et de paix. L’immobilité prônée par les fondamentalistes environnementaux n’est pas la solution. Nous devons en même temps favoriser la mobilité et protéger la planète, donc décarboner sinon compenser en attendant, diversifier les pratiques et les destinations, mieux répartir la valeur, mais surtout continuer à voyager, favoriser la production locale et lui permettre d’accéder plus directement au marché.

« Think Local, Act Global. »

L’inverse de la mondialisation productiviste. Ce qui est bon pour le local est traçable, évaluable, plus sûr, plus proche.

Des professionnels du tourisme venant de tous les horizons

Les intérêts ne sont pas forcément croisés ou conciliables. Peut-il y avoir des lignes de convergence globales ? Si oui, quelles sont-elles ?

L’intérêt de tous est de sauver l’idée même du voyage dans un monde qui chaque jour en diminue la possibilité. Je pense que la prise de conscience de la nécessité de changer est partagée au moins par ceux qui se rendent à Évora. De même les constats sur la nature des contraintes, leur impact global. En revanche, la nature des changements, la répartition des efforts, la mutation du modèle économique, les réglementations, les taxations, la gouvernance vont faire débat.

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Accompagner la transition et la transformation de l’offre touristique

Quels sont, selon vous, les pierres d’achoppement et les freins les plus importants actuellement pour permettre de développer le tourisme de demain dans le respect des destinations, des populations locales et des territoires ?

La liste est assez longue. C’est ce qui fait la singularité et l’urgence. Quelques-uns sont plus forts que d’autres. Le premier est sûrement la conséquence économique de la crise pandémique qui a asséché les capacités financières et endetté toute l’industrie. Il est sûr que les modèles traditionnels vont essayer de résister pour seulement survivre, le modèle productiviste n’est pas mort. La nature du leadership est aussi un frein car il faut beaucoup de courage, de vision et de volonté pour diriger une transformation. Tout changement comporte sa dose de risque. L’ampleur de l’investissement pour assurer la transition puis la transformation et leur rentabilisation présente un effet muraille également. Surtout il va y avoir des gagnants et des perdants. L’accompagnement des perdants sera indispensable pour éviter les drames sociaux.

Le secteur touristique de plus en plus soumis à critiques et controverses

L’activité touristique a connu une croissance exponentielle durant les dernières décennies. On parle d’industrie touristique. Avant le début de la pandémie, de nombreux signes précurseurs d’une nécessaire remise en question du tourisme considéré dans sa globalité étaient apparus. Le surtourisme et le tourisme de masse ont suscité des polémiques et des débats de différentes natures. La pandémie a bouleversé les habitudes et permis une pause propice à la réflexion. Selon vous, quelles doivent être les priorités de la filière touristique pour résoudre l’équation humaine, économique, écologique et sociale liée à la crise, à court terme et à plus long terme ?

C’est tout l’objet du Forum « A World For Travel ». Définir les priorités, en faire des engagements, les suivre dans le temps, les ajuster et les compléter. La méthode doit être celle de la COP. Une progression par engagement collectif. Le vrai sujet sera l’exercice du leadership de cette transformation. C’est pourquoi nous avons pris le parti d’engager toutes les parties prenantes : responsables publics, entreprises, associations, universitaires, populations locales, experts. Tous forment une chaîne dont aucun des maillons ne peut être faible.

Il n’est plus temps pour chacun de tirer la couverture à soi.

L’objectivation et la quantification des problèmes sont déjà un préalable à la résolution de l’équation qui a moins d’inconnues qu’il parait.

Que pensez-vous de l’écotourisme ?

Toutes les destinations peuvent-elles devenir écotouristiques selon vous ou est-ce une pratique réservée aux destinations nature ?

Je vais peut-être en choquer certains mais l’écotourisme comme niche touristique me paraît dépassé. C’est l’ensemble du tourisme qui doit être responsable. La promotion d’une filière spécifique ne peut qu’exonérer d’efforts les autres filières et territoires. Je suis élu d’un territoire touristique de montagne dans les Pyrénées, Grand Site Occitanie, et président de l’Office de Tourisme communautaire Pyrénées 2 Vallées Aure Louron. Notre territoire est aux 2/3 protégés par des parcs et réserves nationales, régionales et zone Natura 2000. Cela ne fait pas de nous une destination écoresponsable aboutie et nous devons poursuive nos efforts. À l’inverse, les stations et métropoles s’engagent dans des plans de transformation partant évidemment de plus loin. C’est l’effort de chacun qui fera la différence.

Comment faire la promotion du tourisme de demain ?

Le numérique et les innovations technologiques ont-ils un rôle à jouer ?

Le rôle de l’innovation est essentiel, en particulier la gestion territoriale prévisionnelle. La technologie va nous permettre de résoudre bien des problèmes ou au moins d’avancer significativement sur bien des solutions. Contrôle des flux, gestion du dernier kilomètre, désintermédiation des transactions, relocalisation de la production et des services, gestions des ressources et des déchets, pilotage des destinations, évaluation, … Le concept de Smart Destination va être l’enjeu principal de la transformation des destinations touristiques.

➡️ Pour aller plus loin concernant le concept de Smart Destination, nous vous conseillons cet article de Tom Travel : Comment le tourisme développe les concepts smart ?

Les séjours tout compris ont-ils encore leur place ?

La chute du modèle « all inclusive » a sonné. Pour une raison très simple ; nous rentrons dans l’ère de la personnalisation de l’offre. Les entreprises qui ont misé sur ce modèle révisent leur approche ou disparaissent comme Thomas Cook.

Photo de Tito Noverian Putra sur Pexels.com

Le tourisme d’affaires a-t-il sa place dans le paysage touristique de demain ?

Comment, par exemple, les séminaires d’entreprise peuvent-ils s’inscrire dans un projet de tourisme durable ?

Le sujet est plus vaste, il concerne tous les déplacements professionnels. Je vous invite à lire mon propos dans la dernière tribune de l’Echo Touristique.

Pourquoi en serait-il autrement sur le segment du tourisme d’affaires ? Je pense que le secteur va s’hybrider :

  • du présentiel pour tout ce qui touche aux célébrations et aux démonstrations « physiques »
  • du virtuel pour la formation et la communication
  • de l’hybride pour le networking, le « dating » fonctionne très bien en virtuel, pourquoi en serait-il autrement pour les relations professionnelles ? Nous avons tous un compte LinkedIn.

Un exemple concret de tourisme durable réussi ?

Permettez-moi de ne pas prendre parti. Ils sont multiples et comme je vous l’ai déjà indiqué, cela ne me parait pas la bonne formule. Le tourisme sera durable dans son entier ou ne sera pas.

La (sur) fréquentation touristique en question

Pouvez-vous nous donner un exemple précis où les activités touristiques et / ou la surfréquentation ont joué un rôle dévastateur ?

Quel aveu d’échec quand une population prend le parti de vouloir chasser les touristes de leur lieu de vie. Je dirais partout où « Tourist Go Home » a été tagué dans les rues. Je dirais aussi attention aux « City Breaks », leur multiplication est aussi la source des problèmes.

Quels conseils donneriez-vous à un hôtelier qui subit la crise de plein fouet ?

Quel est à ce jour le meilleur moyen d’obtenir des réservations selon vous ? Les plateformes telles que Booking et Airbnb ont-elles un rôle à jouer dans la relance du marché de l’hôtellerie, si oui lequel ?

Le modèle qui émerge est celui des places de marché qui permettent de diversifier les clientèles. C’est le meilleur compromis : les hébergeurs peuvent payer des fees s’ils correspondent à une vraie action marketing, en revanche doivent-ils continuer à payer pour une simple transaction ? Le plus important est de bien digitaliser son offre et de se doter des moyens de gérer les canaux de distribution et de diffusion, car la situation et l’intérêt d’un hébergeur ne sont pas nécessairement ceux de toute la profession. Il doit dans tous les cas garder le pouvoir en ayant bien en tête que chaque client gagné est un client qui peut être fidélisé.

L’ère du « Covid-free »

Le blog “A World for Travel” a récemment mentionné l’article suivant : Italy to deploy ‘covid-free’ trains to tourist destinations. Un train libre de covid qui permet aux touristes de se déplacer librement et sans risque. Que pensez-vous de ces mesures ? Sont-elles essentielles ou prématurées ?

Là aussi, la vérité n’est pas encore écrite. Mon sentiment est que la liberté de voyager est plus forte que les contraintes qu’elle implique.

Dans ma jeunesse nous avions un carnet de vaccination et certaines étaient obligatoires pour passer des frontières. Nous n’en faisions pas toute une histoire.

Photo de Ewa Misztal sur Pexels.com

Comment faire la promotion de la destination France en 2021 et au-delà ?

En 2018, la France accueillait 90 millions de visiteurs sur son territoire, ce qui faisait d’elle la première destination mondiale. Pensez-vous que la France puisse rester en haut du podium tout en devenant une destination durable ? Si oui, des changements structurels sont-ils nécessaires ? Quels sont-ils ?

Oui j’ai même dit beaucoup de bêtises quand j’étais Directeur de la Stratégie d’Atout France. Le nombre de visiteurs étrangers n’est pas la bonne mesure du succès d’une destination. Si la transformation s’opère, il n’y a aucune raison de voir le marché des voyages de loisirs s’effondrer. Simplement il ne sera pas porté par les mêmes clients qui seront localisés plus près. Il ne sera pas concentré sur un nombre limité de destinations et la France dispose de ressources quasi illimitées en destinations de toute nature. Il ne sera pas circonscrit à des activités industrialisées donc nous ne serons pas contraints de construire des fac-similés de Tour Eiffel, regardons la richesse et la diversité de notre patrimoine. L’activité devra être évaluée plus en nombre de nuitées internationales et domestiques qu’en nombre de voyages, en valeur ajouté plus qu’en recettes. Le voyage devra justifier d’une empreinte environnementale maîtrisée. Pour autant il devra toujours apporter plaisir, accomplissement, amusement, dépaysement et même différenciation. La diversité fera sa force.

Cet été, la ville de Paris organise Les Assises du Tourisme Durable 2021, allez-vous y participer ?

J’en serai ravi.


Le Forum « A World For Travel » souhaite réunir les acteurs du secteur du tourisme venant de tous les horizons géographiques et professionnels tels que des responsables publics et institutionnels, des hôteliers, des offices de tourisme, des organisations touristiques, des universitaires, des professionnels de l’événementiel, des représentants des populations locales et des associations. En gueststar, Mike Horn, explorateur professionnel, aventurier et expert en survie. À ce jour sont annoncés : 315 participants en présentiel, 900 participants virtuels, 124 intervenants et plus de 44 nationalités.

A World For Travel
Evora Forum
10 - 12 mai 2021
A World For Travel
Evora Forum
10 – 12 mai 2021


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Publié par bonjourgreen

Créateur de contenus durables.

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